Au cours du mois de novembre, tous les jours sauf les dimanches, seront publiés un article.
Un article écrit chaque jour par une personne différente,
sur un ancêtre dont le mariage a eu lieu en Dordogne au cours du XIX ème siècle.
De AZ, en 2024, voici la huitième participation de l'amicale Genea24.
Aujourd'hui la lettre : V
|
Vie et mort de Jean Allaguillon.. Par Danielle Laguillon Hentati. |
Jusqu’à la Révolution française, la sédentarité au village était le mode de vie le mieux partagé. Mais au XIX° siècle, la première révolution industrielle crée la croissance économique, transforme la production et la consommation, mais aussi les métiers, les genres de vie, la hiérarchie entre régions et pays dans le monde. Les mentalités changent, un désir de voyager naît et se diffuse dans la société. Par ailleurs, alors que s’amorce le lent déclin de l’Empire ottoman, les puissances européennes rivalisent d’ambitions colonialistes, notamment la France qui entreprend, dès 1830, la conquête de l’Algérie. L’armée va donc permettre de "voir du pays" aux militaires en activité au XIXe siècle. C’est dans ce contexte que Jean Allaguillon, petit-cousin de mon bisaïeul Martin Laiguillon, eut un parcours de vie atypique.
Né le 17 frimaire an IX (8 décembre 1800) à Bertric (devenu Bertric-Burée en 1820) en Dordogne, il est le fils de François Allaguillon, tailleur d’habits comme son père, qui passa toute sa vie à Bertric (1780 – 1854), et de Marie Andrieux (Saint-Sébastien 1776 – Bertric-Burée 1841). Aîné d’une fratrie de six enfants, il apprend le métier auprès de son père avant la conscription qui, à l’époque de la Restauration, durait 6 ans. Conscrit, Jean reste tailleur d’habits tout en étant soldat au 26° régiment d’infanterie de ligne à Nancy. En 1827, il est tailleur d’habits et soldat congédié de son régiment. Le 23 février, il se marie avec l’autorisation de Jean Meunier, tailleur à Perpignan, fondé de procuration ad hoc par les père et mère, selon l’acte reçu le 9 septembre 1826 par Maître Dexam Lagarde, notaire à Bertric-Burée.
Église de Bertric-Burée.
Son épouse est Marie Claire - dite aussi Marie Clémence - Joubert, née en 1804 à Perpignan de parents inconnus. D’après son acte de mariage, elle a adopté ce patronyme pour nom de famille. Mais déjà, en 1824-1825, elle se dit « fille naturelle de feue Marie Joubert » dans les actes de naissance de ses filles que le couple reconnaît ensuite lors de leur mariage.
Jean ayant décidé de rester dans l’armée, le couple va vivre de garnison en garnison : à Strasbourg, à Étampes, à Lyon où il est voltigeur au 15ème régiment d’infanterie de ligne, à Narbonne où il est promu caporal tailleur d’habits au 15ème régiment d’infanterie légère. En 1841, en pleine conquête de l’Algérie, il est nommé caporal tailleur d’habits au 5ème régiment d’infanterie légère, en garnison à Mostaganem.
Jean ne devait jamais oublier l’émerveillement de Marie Claire à leur arrivée à Mostaganem en voyant le petit port, la ville basse, les maisons blanches et le soleil, un soleil immense, aveuglant, brûlant. Le souffle torride de l’Afrique va les envelopper, les consumer. La santé de Marie Claire n’y résiste pas, elle meurt le 13 juin 1841 à Mostaganem, épuisée par les grossesses, les déménagements fréquents, le dur labeur. Pourtant, elle a été heureuse pendant les années passées ensemble, se contentant des petites choses de la vie : son Jean, ses enfants, le jasmin qui embaumait devant la porte de leur maisonnette, lorsqu’ils tiraient une chaise au dehors pour profiter de la fraîcheur du soir. Elle appréciait les parfums qu’exhalait la terre humide après les orages, les levers de soleil somptueux et les crépuscules mauves, le contraste entre la belle terre brune et les collines de sable d’or. Et la mer ! Mon Dieu, qu’elle aimait la mer ! C’était leur plus grand plaisir : atteler l’âne à la carriole et aller voir la mer en fin d’après-midi. Les petits couraient sur la plage, sous les yeux attendris de leurs parents.
Le pays va marquer durablement la famille. D’ailleurs deux enfants s’y marient : Catherine, la fille aînée, avec Louis Sellier, un Alsacien installé comme marchand tailleur d’habits, qui a senti les nouvelles opportunités offertes par suite de la colonisation du pays, et plus tard son fils Florentin Amédée avec Victorine Ducharut, une jeune fille originaire de Haute-Saône.
Jean et Marie Claire ont eu sept enfants. Catherine (Nancy 1824 – Paris 1892), épouse de Louis Seiller, est restée sans descendance connue. Thérèse dite Virginie (Nancy 1825 – Coutures 1890), est cuisinière au château de Verteillac, puis cultivatrice après son mariage avec Barthélémy Aubin Meymy (Cherval 1828 – Verteillac 1913) le 16 janvier 1856 à Verteillac, parents de trois enfants sans descendance connue. Antoine Louis, né en 1827 à Perpignan, est peintre en bâtiment à Paris où il meurt le 28 mai 1866, célibataire et sans descendance connue. La petite Louise Virginie Atanise, née en 1831 à Strasbourg, meurt peu après sa mère, le 25 novembre 1841 à Mostaganem (Algérie). Florentin Amédée, né en 1833 à Etampes, est piqueur employé aux chemins de fer algériens ; il se marie le 12 avril 1866 à Vesoul Bénian (aujourd’hui Aïn Benian en Algérie) avec Victorine Ducharu (Villefrie 1835 - Sig en Algérie 1905), mais le couple reste sans descendance. Jeanne dite Clara, née en 1834 à Lyon, connaît un destin tragique ; blanchisseuse de profession, elle se marie le 24 décembre 1851 à Gennevilliers avec Félix Clément Ménage, couvreur puis cultivateur ; le couple vit à Paris où il a quatre fils qui meurent en bas âge ; lors du décès de Félix Clément en 1887 à Gennevilliers, le frère de celui-ci indique que Clara est absente et que son domicile n'est pas connu, par ignorance ? par médisance ? Car il s’avère que Clara est décédée le 30 août 1883 à Paris, mais l’acte, inscrit au nom de LESGUILLON Clara, décédée en son domicile 22 rue Cavé dans le XVIIIème, indique seulement son métier, sa ville de naissance et son âge, avec cette précision « état civil complètement inconnu ». Vraisemblablement elle est morte séparée de son époux, seule dans la tristesse et le dénuement. Quant à la dernière fillette de Jean et Marie Claire, prénommée Marie Clotilde, elle est décédée à 20 mois, en 1838, à Narbonne où elle était née.
Après la mort de Marie Claire, brisé par le chagrin, se sentant incapable d’élever seul ses enfants, Jean reprend le bateau avec eux pour revenir au village natal. Installé dans le bourg de Bertric-Burée, il redevient un tailleur civil. Et c’est dans le village de son enfance que, le 28 novembre 1849, il se marie avec Marguerite, née de parents inconnus comme sa première épouse. Est-ce le hasard ? ou une volonté délibérée d’épouser une femme sans attache afin de pouvoir partir avec elle si nécessaire ? Marguerite n’a pas eu une vie facile, tour à tour servante ou cultivatrice pour nourrir ses deux enfants : Eugénie, née de père inconnu, et Jean Duclaud dont le père est décédé alors qu’il était enfant. Jean et Marguerite vont avoir ensemble deux enfants : Marguerite Athénaïs (Bertric-Burée 1851 – Bordeaux 1883) et Jacques.
Acte de mariage de Jean Allaguillon et Marguerite.
Archives départementales de la Dordogne, Bertric-Burée Mariages
Sur les conseils d’anciennes connaissances, il décide de s’installer à Saint-Denis-du-Sig où s’est créé un centre de colonisation, dans le cadre de la politique démographique voulue par le gouvernement pour peupler l’Algérie de Français. Le village a à peine dix ans, mais compte déjà près de trois mille habitants. Plusieurs zones cultivables partagent le territoire du Sig : à la périphérie, les jardins maraîchers et les arbres fruitiers, au-delà les grandes propriétés. Le travail ne manque pas, le toit et le pain sont assurés, son fils et sa belle-fille sont près de lui, il ne demande rien de plus.
Ici, se referme le livre de vie de Jean, le 24 janvier 1874, dans ce pays où il a été si heureux. Sur son acte de décès, ne figure que le nom de Marie Claire, sa première épouse.
Courriel |
|